La Danse. Un regard curieux

Avec « La Danse », le cinéaste Frederick Wiseman développe un concept fascinant et rare dans l’art du documentaire : la mise en place d’un regard qui englobe les différents espaces des Ballets de l’Opéra de Paris. Une vision d’autant plus impressionnante qu’elle est dépourvue de tout discours sociologique, et de toute voix-off. Les Ballets ouvrent pour nous ses portes et dévoilent leur vie de ruche (et le spectateur y découvre même de vraies ruches sur le toit du bâtiment), leurs coutumes hors du temps, leur discipline, leurs moments de grâce et de relâchement, leurs activités silencieuses aussi. Pendant deux heures, la caméra évoluera des répétitions aux bureaux, où les questions compliquées du choix de la programmation, du financement et du mécénat sont évoquées ; on verra aussi les costumières, nettoyeurs, corps de ballet et danseurs étoiles, la directrice artistique, ceux qui commencent leur carrière et ceux qui s’interrogent sur leur avenir. Une mise en scène du Songe de Médée, par exemple, est l’occasion de saisir au vol quelques réflexions sur la création des personnages, et une leçon de théâtre sur la représentation de l’ambigüité du héros à l’aide de mots simples.



L’absence de discours préétabli, d’intrusion d’un narrateur, rend le lieu à la fois mystérieux et transparent. Le mystère vient de l’infinité de fils conducteurs proposés aux spectateurs. Il n’y a pas de protagonistes, mais des gestes qui se suivent et se racontent par eux-mêmes, et la seule histoire qui apparaît est celle d’une institution qui ne dort jamais entièrement, où se déroule toujours une partie d’une intrigue, que ce soit au sous-sol ou sur scène, laissant voir, entre autres la beauté des corps, mais aussi celle du corps toujours vivant, toujours en mouvement de l’Opéra. Cette intrigue, c’est à nous de la reconstituer dans sa complexité et ses plages de silence. Quant à la transparence, elle réside dans la description, aussi minutieuse que basée uniquement sur les aspects visuels et musicaux, du travail de danseurs et chorégraphes. La Danse, qui offre une vue d’ensemble d’un art, résume pour moi ce qui devrait être l’idéal de tout commentateur (dans le cadre du documentaire, mais également dans celui de la critique d’art, littéraire, cinématographique…) : l’effacement derrière l’œuvre est la meilleur marque d’admiration et de respect envers celle-ci.

04-05-10
 


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