Les Préraphaélites, de Rossetti à Burne-Jones
À propos de Les Préraphaélites, de Rossetti à
Burne-Jones, de Guillaume Morel.
Le
mouvement préraphaélite, développé en Grande-Bretagne pendant la seconde moitié
du XIXe siècle, semble échapper à toute détermination temporelle. Il est à la
fois moderne et suranné, explicite et énigmatique, fondé sur la superposition
de mythes, thèmes religieux et littéraires, regards féminins, paysages naturels
et stylisation décorative. Il a une esthétique qui lui est propre et qui, en
même temps, revendique et réinterprète des motifs anciens, bien connus ou tirés
de l’oubli. Cet ouvrage, organisé par thèmes, nous plonge dans l’atmosphère
quelque peu étrange et mélancolique de l’art préraphaélite, à l’aide d’un choix
d’images très représentatif accompagnant des chapitres brefs qui offrent une
synthèse du contexte culturel de l’époque, de la chronologie du mouvement. Une
sélection composée majoritairement de tableaux, mais où les dessins, et d’autres techniques comme le
vitrail ou la photographie trouvent également leur place. Cette ouverture précède
d’ailleurs le succès de l’esthétique préraphaélite dans les arts décoratifs,
que des mouvements comme le modern style ou les Arts & Crafts vont
assimiler dans les dernières décennies du XIXe siècle. Ce sera un prolongement
dans des objets de la vie quotidienne, désormais dotés d’une fonction esthétique,
précurseurs du design.
À partir
de 1843, le premier volume des Modern
Painters de John Ruskin esquissait les principes de ce qui serait plus tard
le Préraphaélisme : retour à un style pictural inspiré des primitifs
italiens, mettant l’accent sur la simplicité, les couleurs brillantes, le souci
du détail mis en évidence dans la représentation de décors d’intérieur, de
meubles, de tissus ou de motifs végétaux, les aspects symboliques, la
transposition de valeurs morales… “To
go to nature in all singleness of heart . . . rejecting nothing, selecting
nothing and scorning nothing.” Les idées
de Ruskin se reflètent dans la combinaison d’influences esthétiques que l’on
retrouve au sein la confrérie préraphaélite (Pre-Raphaelite Brotherhood),
composée à l’origine par William Holman Hunt, John Everett Millais et Dante
Gabriel Rossetti en 1848. D’autres peintres les ont rejoints par la suite, ainsi
que les critiques d’art William Michael Rossetti et Frederick George Stephens.
Bien que la confrérie n’ait existé que pendant quelques années, son influence
sur l’esthétique de l’époque a été immense, dans le rejet de l’académisme et la
mise en valeur des œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance italienne et
flamande. Pendant la décennie suivante, deux autres artistes vont notamment poursuivre
l’évolution du mouvement préraphaélite : Edward Burne-Jones et William
Morris. Ce dernier fera le lien entre la peinture et les arts décoratifs.
Les
thèmes préraphaélites sont très nombreux. Il y a d’abord l’inspiration
religieuse, dans les Annonciations ou d’autres épisodes bibliques, concurrencée
par des sujets mythologiques comme Éros et Psyché ou le chant des Sirènes. La
littérature médiévale vient ensuite, avec des sujets tirés de Dante et Boccace,
ou du cycle arthurien, et, bien entendu, le monde shakespearien et ses
héroïnes. Car les Préraphaélites affectionnent les mises en scène sophistiquées
hantées par des personnages féminins. Juliette ou Ophélie, Guenièvre ou
Béatrice apparaissent, dans des décors intimistes, dotées de visages
opalescents, chevelures flottantes et attitudes sensuelles. Il y a toujours
quelque chose de mystérieux dans les évocations d’un passé légendaire qui font
appel à plusieurs sens, suggèrent différentes formes artistiques (broderie,
tapisserie, enluminure) et différents récits possibles. Il y a aussi, dépassant
le personnage et la situation, des paysages, souvent peints en extérieur,
destinés à offrir une lumière naturelle en arrière-plan. Et, peut-être, une
volonté de s’affranchir des contraintes du temps dans ces figures modernes
drapées dans des costumes florentins, dans cette imitation de l’ancien dans
toutes ses nuances qui se manifeste même dans les portraits de leurs
contemporains.
Les Préraphaélites, de Rossetti à
Burne-Jones, de Guillaume Morel. Éditions Place des Victoires, 2013
Ecce Ancilla Domini! Dante Gabriel Rossetti, 1850
|
The Bower Meadow, Dante Gabriel Rossetti, 1872 |
Ophelia, John Everett Millais, 1852
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Love among the Ruins, Edward Burne-Jones, 1873
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Our English Coasts, William Holman Hunt, 1852
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Un mouvement que j'adore, mais qui à mon avis n'est pas détaché de l'histoire de l'art. En peinture en principe c'est préparé par Turner, assez méconnu de son temps et défendu voire glorifié par Ruskin. En fait le romantisme dans l'Angleterre positiviste et industrielle est resté marginal, mais on peut voir les Préraphaélites comme poursuivant l'oeuvre des romantiques, de William Blake, de Coleridge, de Wordsworth. Après eux, au moins sur le plan littéraire, il y a eu assez clairement J. R. R. Tolkien, grand admirateur de Morris, et la "fantasy art" somme toute doit beaucoup aux Préraphaélites - même si elle a moins de dignité, de hiératisme. La logique historique de ce mouvement est évidente, quand on songe qu'à la même époque en France il y avait Gustave Moreau, qui est leur pendant continental. Je crois, Inma, que ceux qui ne voient pas la logique historique de la chose croient à la fiction de la logique scientiste, et ne voient pas la réalité, celle d'un art qui résiste à l'absoption de ses prérogatives par la technologie, et qui réagit en s'opposant frontalement à elle. Or, cela suit aussi son fil, il ne s'agit pas simplement de réactions épidermiques faites au hasard.
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