Les tribulations d’un lapin en Laponie
A propos de Les
tribulations d’un lapin en Laponie, de Tuomas Kyrö
« On n’écrase
pas la vie, on la contourne ». Et pourtant, contourner la vie est presque
un métier pour Vatanescu, fraîchement débarqué à Helsinki dans les bagages d’un
certain Iegor Kugar, malfrat russe
décidé à l’exploiter, avec d’autres Roumains, comme mendiant, et à profiter ainsi
de la proverbiale solidarité apathique de ces braves Nordiques, qui sont censés
vivre leur confort comme un poids culpabilisant. Vatanescu a une seule idée en
tête : gagner suffisamment d’argent –même s’il doit remettre à Iegor Kugar
75 % de ce que les passants lui donnent- pour acheter des chaussures à crampons
à son fils Miklos et rentrer aussitôt en Roumanie ; une seule idée, mais
parfois cela représente déjà trop, lorsqu’on sait que les plans les mieux conçus des souris et des hommes... etc.
Les plans de
Vatanescu vont être très vite contrariés par le froid et la dureté de la vie
dans la rue. Il s’y adapte, cependant, jusqu’au jour où, pendant que le
campement des mendiants est détruit par les autorités, Vatanescu profite pour
régler ses comptes avec Kugar et partir pour de nouvelles aventures, sans
argent ni papiers, n’emmenant avec lui qu’un petit lapin qu’il a sauvé dans un
jardin public. Il aura désormais à ses trousses la pègre et la police, mais
aussi une foule d’admirateurs qui suivent son parcours sur internet. Tout cela,
bien entendu, sans qu’il se doute d’une telle célébrité, car il ignore les
sites qui lui sont dédiés et ne s’intéresse qu’au bien-être du lapin et à la
possibilité de gagner, en ramassant des baies en Laponie, de quoi acheter les fameuses
chaussures de football.
Ce n’est pas
facile, surtout quand on croise la route d’autant de personnages à la fois
tristes et comiques, souvent excentriques et marginaux ; des ratés qui ne
connaissent guère leurs propres ressources, auxquels la rencontre avec
Vatanescu (et son lapin) va donner l’occasion de changer de vie (et
éventuellement de provoquer des désastres en cascade, que dans les romans on
appelle péripéties).
Ces Tribulations d’un lapin en Laponie sont
d’abord un hommage à un illustre prédécesseur, tout aussi flanqué d’un
compagnon lagomorphe : Le Lièvre de
Vatanen d’Arto Paasilinna. Un hommage revendiqué dans l’un des épisodes et
qui apparaît dès le début dans le nom du protagoniste. Par ailleurs, on peut
trouver dans les deux romans une semblable invitation au voyage désordonné, un
même éloge de la cavale loufoque, le
même individualisme attachant mais menacé, et, bien sûr, la satire des mœurs contemporaines
vues par des yeux apparemment naïfs, ce qui souligne leurs côtés absurdes. Séparément,
Vatanescu et le lapin sont méprisés ou ignorés, l’un est un voleur potentiel, l’autre
est un « sale rat » ou un « nid à microbes ». Ensemble, ils
deviennent des idoles parce qu’ils font rire et pleurer en même temps : au-delà
de l’incohérence, il y a dans cette réflexion une recette littéraire toujours
efficace.
Inma Abbet
Inma Abbet
Tuomas Kyrö, Les tribulations d’un lapin en Laponie, traduit du finlandais par Anne Colin du Terrail, Denoël 2012
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