Pietra viva
À
propos de Pietra Viva, de Léonor de Récondo
« Je vois tout ce qui se cache à l’intérieur
des pierres »
Les pierres, ce sont les grands blocs de
marbre que Michelangelo Buonarroti va chercher dans la région de Carrare. Au
printemps 1505, il s’y installe pendant
plusieurs mois, le temps de choisir les plus beaux d’entre eux, qui deviendront
les sculptures du tombeau de Jules II, pape et mécène. Dans les éléments
naturels se cachent ainsi des œuvres d’art et ce voyage est l’occasion, pour le
sculpteur à l’apogée de sa notoriété, après le David ou la Pietà, d’interroger
la matière première, vivante et minérale, indocile et doté d’un charme éphémère
–ou difficile à faire sortir-. Une matière dont l’observation est toujours
passionnante.
La recherche des marbres peut être aussi lue,
dans l’approche du mythe de Michel-Ange, comme la fuite en avant d’un artiste
introverti confronté à la mort énigmatique d’un ami, le moine Andrea, qui
représentait pour lui la beauté idéale. Comme pour la pierre, l’artiste se
situe à la fois trop loin et trop près des gens ; que ce soit en regardant
le travail dangereux dans les carrières ou en rêvant d’un visage aimé qu’il n’a
jamais touché, son rôle est de saisir la nature profonde de ses modèles tout en
restant « tourné vers l’intérieur ».
Son attitude envers les villageois, parfois
polie et distante, parfois pleine d’arrogance, les ébauches des lettres qu’il n’ose
pas envoyer à frère Guido, un autre de ses amis restés à Rome, soulignent l’importance
de cette introspection en dents de scie, où se mêlent des souvenirs de sa
période florentine. Il revoit aussi des figures emblématiques de l’époque :
Laurent de Médicis, Pic de la Mirandole ou Botticelli. Tous des protagonistes d’une
Renaissance qui finissent pourtant par être attirés par les bûchers des vanités
et, finalement, par l’autodestruction prônée par Savonarole. Fragilité du
statut de l’artiste qui trouve un écho, tout au long de ce roman, dans d’autres
incertitudes et la présence constante de la mort : la peur des épidémies,
transmise d’une génération à l’autre pendant des siècles, les accidents...
Le séjour dans les carrières de marbre
permettra enfin à l’artiste de comparer sa propre étrangeté à celle de ses
contemporains, de comprendre la folie douce de Cavallino, qui se prend pour un
cheval, ou la détresse du petit Michele, résolu à ne pas perdre le souvenir de
sa mère récemment décédée. Il y a toujours un espace impossible à combler entre
la perfection esthétique et une réalité banale, brutale ou absurde, mais la
curiosité envers la nature humaine, comme celle qui cherche à trouver des
pierres uniques, finit souvent par créer des liens imprévus.
Pietra Viva, de Léonor de Récondo. Éd. Sabine Wespieser, 2013
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