Les mystères de Yoshiwara

À propos de Les mystères de Yoshiwara, de Matsui Kesako

Yoshiwara était une ville dans la ville, un quartier très particulier dans l’ancienne Edo, qui deviendrait Tokyo en 1868. Lieu entièrement dédié aux plaisirs depuis le XVIIe siècle, Yoshiwara était seulement accessible par voie fluviale. À l’intérieur, des normes très rigides s’appliquaient, au sein d’une hiérarchie complexe où se croisaient les privilèges et les interdits. Le roman de Matsui Kesako, situé au début du XIXe siècle, nous offre un guide de ce labyrinthe géographique et social, de ce « monde flottant » disparu, qui a tant inspiré peintres et écrivains. Le fil conducteur est celui d’une enquête, menée par un prétendu romancier, qui essaie d’apprendre le plus possible sur la disparition d’une célèbre courtisane nommée Katsuragi, au passé mystérieux, et dont l’élégance et le succès auprès de plusieurs hommes auraient été à l’origine de diverses rivalités et défis. Au fil des entretiens, l’énigme semble s’épaissir autour d’un projet de rachat et d’un scandale impliquant une famille se samouraïs.

Si les questions de l’enquêteur n’apparaissent pas dans le texte, le lecteur a en revanche les réponses et témoignages très détaillés des différents acteurs de la vie de Yoshiwara. Il y a les « habitués », clients qui dépensent des fortunes en achetant des articles –kimonos d’apparat, soies brodées, ornements pour les cheveux et autres bijoux- à leurs courtisanes préférées, mais les dépenses ne s’arrêtent pas là, car ces dames sont entourées d’une nuée d’intermédiaires qui réclament pourboires et cadeaux. Ce sont les assistantes, apprenties, geishas, entremetteuses, revendeuses de cadeaux, amuseurs, intendants, préposés aux lits… Et une grande partie de leur monologue évoque l’argent, le besoin permanent, les différences entre la vie luxueuse des plus convoitées et le quotidien dégradant des servantes ou des prostituées ayant perdu leur beauté et leur renommée. Ces activités autour du commerce du sexe, qui pourraient sembler simplement parasitaires, apparaissent cependant indispensables lorsqu’on accepte l’étrangeté des règles de Yoshiwara, où, par exemple, il faut passer par une maison de thé pour rencontrer une  certaine courtisane, être acceptée par celle-ci au cours d’interminables cérémonies, participer à des soupers, écrire et recevoir des lettres –on apprendra que l’un des arts les plus appréciés chez les courtisanes est celui de la calligraphie. C’est un petit monde très codifié, inventant sans cesse des modes vestimentaires, des coiffures audacieuses, et un style de vie qui emprunte de nombreux motifs au théâtre, comme les intrigues amoureuses, la jalousie, le déguisement, les mises en scène pendant les cortèges… Cela est exposé de manière transparente, tout comme l’on évoque l’origine des femmes qui travaillaient dans le quartier : elles avaient été vendues par leurs parents, ne connaissaient pas la ville d’Edo et n’étaient pas libres de partir, à moins d’être « rachetées » par un client. Pourtant, aussi sordide ou terrifiant que soit l’envers du décor, le monde de Yoshiwara reste  fascinant par sa singularité et ses contrastes, à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar.


Les mystères de Yoshiwara, de Matsui Kesako, traduit du japonais par Didier Chiche et Shimizu Yukiko.éd. Philippe Picquier, 2011

Image : wikipedia.org; Kitagawa Utamaro,
Trois beautés de notre temps

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