Les procès de l'art
À propos de Les procès de l’art, petites histoires de l’art
et grandes affaires de droit, de Claire Delavaux et Marie-Hélène Vignes
Quelle est la différence entre une œuvre d’art
et un objet fabriqué de manière industrielle ? À quel moment un tableau
est-il définitivement achevé ? L’artiste peut-il refuser, voire renier sa
signature, ou refuser de livrer le travail commandé ? Quel est le statut
du photographe à l’égard du droit d’auteur ? Quelles sont les prérogatives
des héritiers et autres ayants droit, et comment peuvent-ils intervenir dans la
diffusion des travaux d’un artiste décédé ? Ces questions, et bien d’autres
tout aussi passionnantes –on pense à la liberté d’expression et à ses limites
légales- forment la matière de cet ouvrage qui évoque les circonstances et le dénouement
d’un bon nombre de procès célèbres. Au-delà de la diversité des contextes –les affaires
ont été traitées aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis,
elles sont présentes du XIXe siècle jusqu’à l’époque actuelle et concernent
toutes les formes d’art-, la difficulté principale lorsqu’il s’agit de juger
demeure l’impossible objectivité dans la définition de l’œuvre d’art, qu’aucune
loi ne peut faire, et, par conséquence, la définition de l’artiste et la
délimitation de ses droits.
Certains de ces procès, par leur singularité,
mais aussi parce qu’ils ont confronté les lois et les systèmes juridiques de
plusieurs pays, sont devenus emblématiques du regard du public sur l’art
moderne, de la notion de goût et de son évolution. Ainsi, lorsque, en 1926, les
sculptures de Constantin Brancusi sont considérées par les douanes du port de
New York comme de simples produits d’importation –et soumis de ce fait à une
taxe de 40 pourcent, qui n’était pas appliquée aux œuvres d’art-, l’artiste, le
galeriste et les acheteurs devront prouver, au cours de deux années de
procédures, que l’Oiseau dans l’espace,
malgré son caractère abstrait, appartient bien au domaine artistique, qu’il a
été conçu et réalisé par le sculpteur et qu’il n’est pas un quelconque objet
utilitaire. Cependant, si le style de Brancusi a finalement été reconnu, les
questions posées par le procès demeurent toujours actuelles. Car il s’agit de
déterminer des notions comme l’originalité, de préciser quel est le travail de
l’auteur. Est-il seulement celui qui développe une idée ou également celui qui
la met en pratique, ou en scène ?
Les auteurs apportent des réponses juridiques
à des problèmes philosophiques au fond insolubles, ce qui peut paraître
insuffisant. Pourtant, cette démarche est particulièrement pertinente pour
traiter des cas parfois très complexes, impliquant des faux, des contrefaçons,
des collaborations où il n’était pas facile de préciser qui avait fait quoi, ou
simplement des conflits concernant la propriété d’une œuvre. Par exemple, entre
l’artiste et son client, comme dans le cas de Whistler et du portrait de Lady
Eden, où même le cas de Georges Rouault, dans la querelle qui l’a opposé aux
héritiers d’Ambroise Vollard, où il s’agissait du droit de l’artiste à terminer
des tableaux auxquels il n’avait plus accès. Il y a également les litiges
déclenchés par une œuvre exposée dans un lieu public. L’espace peut être
durablement modifié par une sculpture ou une installation. Les riverains ou
les habitants d’un quartier sont-ils obligés de subir la présence dans leur
voisinage d’un objet qu’ils n’ont pas choisi, et qu’ils trouvent choquant ou dénué de valeur artistique ? Le cas de la sculpture Titled Arc sur la Federal Plaza de New York au début des années
1980 est à ce sujet intéressant. Si l’opinion publique a fini par avoir gain de
cause, et la sculpture a été démontée, ce n’est pas toujours le cas pour des
affiches publicitaires jugés controversées ou d’autres installations qui
peuvent être considérées comme plus ou moins encombrantes. L’activité
artistique –ou publicitaire, pour les panneaux, affiches de films-, dans des
lieux publics peut donner lieu à des
querelles où s’affrontent, d’un côté, les partisans de la liberté d’expression,
et d’un autre, ceux qui subissent l’œuvre comme une agression (modification de
l’environnement urbain, message incompréhensible ou choquant). Si la liberté
des uns commence là où finit la propriété des autres, les juges devraient être
attentifs à la réception du public, et à l’évolution des goûts dans la société.
D’autres cas sont plus curieux. Les histoires
d’héritages, comme celle ayant opposé les descendants du couple Bonnard, autour
d’un faux testament, l’attitude protectionniste de la veuve du peintre Foujita,
mais aussi l’incroyable histoire du vol « patriotique » de la
Joconde, en 1911, ou l’affaire du portrait posthume de la tragédienne Rachel,
qui montre que le XIXe siècle avait commencé à prendre en compte la notion de droit
à la vie privée et de droit à l’image. On trouvera dans ce livre de nombreux
autres exemples classés par thèmes : l’art et le sexe, l’art et la
religion, questions relatives à la signature et à l’attribution, utilisation détournée
de l’œuvre d’art, problèmes de vandalisme ou dégradation, d’expertise
judiciaire… De Véronèse à l’art contemporain, en passant par Picasso, Magritte
ou Buffet, ce sont aussi les tendances de l’art des derniers siècles qui sont
ici explorées à travers un point de vue peu connu.
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