Hommes et Femmes de la Renaissance
À propos de Hommes et Femmes de la Renaissance. Les
inventeurs du monde moderne, de Robert C. Davis et Elizabeth Lindsmith
En deux siècles, de 1400 à 1600, de nombreux
portraits individuels façonnent indirectement l’image d’une époque
exceptionnelle pour l’Europe ; une période d’effervescence intellectuelle
et artistique, de questionnement religieux, de découvertes scientifiques et de
voyages lointains. La Renaissance est une période brillante, qui voit se
développer les idéaux humanistes et le retour à la culture antique, qui cherche
la paix et qui se termine pourtant dans les conflits dynastiques et les guerres
de religion. Succès et échecs se côtoient également dans ces biographies souvent aventureuses où l’on trouve des
artistes, des savants, des condottieres et des mécènes, mais aussi des penseurs
éclectiques et inclassables. Même si les chronologies apportent une certaine
simplicité, on ne peut situer la Renaissance de manière précise, dans un lieu
déterminé, sans évoquer des influences multiples, des communications, des
confluences de talents dont l’apparition à ce moment de l’histoire garde
toujours quelque chose de mystérieux et de hasardeux.
Les personnages évoqués dans cet ouvrage ont
eu des vies très différentes. Néanmoins, leur parcours met en évidence des caractéristiques
communes. Parfois il s’agissait d’une origine modeste ou incertaine, qui
poussait ces hommes et femmes à sortir de la gêne financière (après un veuvage,
comme Christine de Pizan, ou après une enfance pauvre comme Machiavel), ou d’un
statut dans les marges de la société (ils étaient nombreux à être des enfants
illégitimes, comme Leon Battista Alberti, Francesco Sforza, Frédéric de
Montefeltro, Léonard de Vinci, Érasme, L’Arétin…). Mais ce qui les rapproche
presque tous est la curiosité intellectuelle, la passion de l’étude et des
idées audacieuses (Léonard de Vinci, Alberti, Copernic, Thomas More, Alde
Manuce, Gutenberg), le goût des voyages et l’intérêt pour l’Antiquité grecque
et latine tout en développant les langues vernaculaires. Ce dernier trait
donnait alors aux villes et cours italiennes une place essentielle, dans le développement
de la Renaissance.
Les villes
Si la seconde moitié du XVe siècle est une
époque relativement pacifique en Europe, les villes italiennes sont en plein
essor, notamment grâce au commerce. La Renaissance est un phénomène urbain, et
si les villes comme Florence, Milan, Venise ou Rome étaient riches et
influentes, elles n’étaient pas moins instables et menacées. Certaines figures
sont ainsi emblématiques de l’époque, tels Cosme de Médicis et Laurent le
Magnifique. Florence, par exemple, est dominée par la famille Médicis pendant
trois siècles, ce qui n’empêche pas les exils, les troubles ou la dictature
théocratique de Savonarole entre 1494 et 1498. La fragilité du pouvoir est un
thème renaissant, que l’on retrouve chez des figures comme César Borgia, et
bien sûr, chez Machiavel. L’évolution des cités-États, dont la décadence est
parallèle à l’apparition des nations marque la fin de la Renaissance.
Les femmes
Le livre met aussi en valeur certaines
biographies féminines. Plusieurs sont bien connues, en tant que reines, comme
Catherine de Médicis, ou doivent leur place dans l’histoire au fait d’appartenir
à des familles influentes (Lucrezia Tornabuoni, Éléonore de Tolède), ce qui
leur permettait d’exercer un rôle diplomatique ou politique, tout en protégeant
des artistes et des écrivains, en créant un art de vivre basé sur le
raffinement et la courtoisie. Les écrivains et poètes ne manquent pas, et on
peut citer Marguerite de Navarre, Vittoria Colonna, Louise Labbé, ou l’énigmatique
Isotta Nogarola. En filigrane apparaissent les conditions de vie des femmes de
ce temps-là, ce qui comprenait des mariages très précoces (vers l’âge de 15
ans), une éducation peu soignée, désordonnée ou même inexistante, même s’il
existe des exceptions (dans les mêmes milieux sociaux, on côtoyait des savantes
et des illettrées).
Les artistes
La Renaissance, c’est avant tout un monde visuel, et
cet ouvrage nous propose une iconographie assez riche, en bonne partie
concernant des portraits, mais aussi des peintures qui rendent l’esprit du
temps, marqué par un élargissement des sujets artistiques (la mythologie, l’histoire
et la littérature) après quelques siècles d’art presque exclusivement
religieux. Les images de la Renaissance renvoient à l’importance de la nouvelle
architecture, aux villes idéales, (au traité de Vitruve, redécouvert, qui donnait
les clés des techniques de construction de l’Antiquité classique), à la perspective,
au naturalisme dans les visages, très loin de la stylisation médiévale, aux
volumes et aux paysages brumeux en arrière-plan. La peinture à l’huile connaît
un grand succès à partir de l’œuvre de Jan van Eyck. Mais la Florence du XVe
siècle est aussi la ville de Botticelli, de Brunelleschi, de Masaccio et de
Donatello. On rappelle également les goûts de l’époque dans la passion pour les
tentures et les tapisseries (à sa mort, en 1547, le roi Henri VIII en possédait
plus de 27 000) à travers l’œuvre de Bernard van Orley. Sans oublier les débuts
de l’imprimerie, qui va permettre la diffusion des nouvelles idées, créer des
codes techniques (l’écriture cursive ou italique) ou esthétiques inédits pour
les livres (l’extraordinaire Songe de
Poliphile) mais aussi faire disparaître des arts anciens, comme l’enluminure.
Parcours atypiques
Une éducation éclairée combinée à un esprit
incisif pouvaient offrir des occasions inattendues de voyager ou échanger des connaissances.
Toutefois, les déplacements étaient trop fréquemment une question d’exil. Parmi
les histoires les plus extraordinaires, on lit celle d’une femme célèbre :
Doña Gracia Mendes Nasi. L’intolérance religieuse oblige la famille juive de
Gracia, née à Lisbonne en 1490, à se convertir au christianisme. Mariée à
Francisco Mendes, qui possédait une des plus importantes banques d’Europe, elle
s’installe à Anvers à la mort de son mari et devient une femme d’affaires
reconnue, mais doit partir à Venise et ensuite à Ferrare, où elle peut de
nouveau vivre en tant que juive, et protéger de nombreux juifs des persécutions.
Elle finira sa vie à Istanbul, accueillie par le sultan Soliman, tout en
développant un projet de cité-État à Tibériade…
Si la
Renaissance se termine avec l’émergence des nations, c’est aussi parce que les grandes
découvertes en Afrique et Amérique ont permis la création d’empires et amené de
nombreuses richesses à des royaumes comme l’Espagne et l’Angleterre. Les
conflits qui suivront la réforme protestante finiront de changer définitivement
les repères de la vie intellectuelle et spirituelle, après les repères
géographiques, car le monde méditerranéen, et les villes italiennes avaient peu
à peu perdu de leur importance.
Sandro Botticelli. Portrait de Simonetta Vespucci. Image : Commons Wikimedia |
Le Songe de Poliphile
Hommes et Femmes de la Renaissance. Les
inventeurs du monde moderne, de Robert
C. Davis et Elizabeth Lindsmith, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Ricard et
Catherine Sobecki. Flammarion 2011
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