Parfums

À propos de Les 101 mots du parfum à l’usage de tous, d’Elisabeth de Feydeau ; Parfums, une histoire intime, de Denyse Beaulieu.

Cela fait longtemps que le thème du parfum me suit, m’enveloppe et me hante. Mes parfums sont des moments et des lieux disparus. Inexprimables par les mots, à moins de recourir un domaine sémantique qui concurrence la réalité insaisissable des souvenirs olfactifs. Qu’est-ce qu’une note poudrée ? Comment décrire la « rondeur » d’une senteur ? Écrire sur le parfum serait l’exercice de subjectivité par excellence, comme un journal intime éclaté en de nombreuses nuances qui garderait davantage de secrets qu’il n’en révélerait.  J’associe différentes époques de ma vie à des parfums que je portais en ces moments. Disparus des catalogues, il m’arrive d’en trouver des flacons intacts dans des parfumeries et sur internet. Mais l’effet qu’ils produisent sur moi est souvent décevant. Je retrouve les mêmes notes, mais rarement les impressions d’autrefois. Modification de l’odorat ? Altération des essences utilisées ? Je crois plutôt à l’incomplétude du cadre. Il me faudrait, pour ressentir exactement ce que je ressentais en gardant une mouillette imprégnée de  Femme de Rochas dans ma poche, une soirée d’automne, une envie de ne pas rentrer chez moi tout de suite, et de longer à vélo un certain canal, avant de me retrouver presque dans les bois à la tombée de la nuit. Tous les contextes ne se valent pas. Il faudrait pouvoir reconstituer les fils quasiment infinis d’une trame évanouie dans le passé, exercice impossible qui n’est pas sans rappeler le conte de Borges Funes ou la mémoire, où la reconstitution exacte d’une journée prend précisément une journée. Les ouvrages dédiés au parfum possèdent souvent cette caractéristique d’évocation intrigante ; les caractéristiques d’une odeur y sont patiemment rétablies, et les considérations techniques nous guident dans la découverte des complexités d’un monde à la fois archaïque et très moderne. Mais présence d’un parfum garde toujours une part de mystère que l’esthétique des flacons et la description des notes et des accords ne peuvent recréer. Les livres sont indispensables pour nous représenter concrètement les essences parfumées et leurs ingrédients, l’histoire des matières premières, les techniques d’extraction ou les effets des modes nous aident à comprendre l’importance culturelle du parfum.

Image : I. Abbet

Image : I. Abbet



Les 101 mots du parfum à l’usage de tous, d’Elisabeth de Feydeau

De « l’absolue » à « Émile Zola », en passant par la notion de classification, la descriptions de matières premières comme l’encens ou la rose ou l’évocation des routes du parfum, ce petit ouvrage propose une histoire de la parfumerie en 101 mots-clés. S’y entrecroisent des brèves biographies de parfumeurs, des rois ayant développé des modes, des villes emblématiques de la parfumerie, comme Grasse, l’histoire et les avatars de l’eau de Cologne depuis le XVIIIe siècle, les méthodes qui permettent l’extraction et la conservation des senteurs des fleurs les plus fragiles, comme l’enfleurage, la notion de familles de parfum (floraux, ambrés, hespéridés, chypres…), le concept de note, qui rappelle l’univers musical… Le tout de manière simple et synthétique. On y apprend beaucoup, aussi bien sur les industries anciennes (les gantiers-parfumeurs) que sur la façon contemporaine de concevoir un nouveau parfum (les notions de brief, de headspace, la révolution de la parfumerie incarnée par les matières de synthèse, ou des sites spécialisés comme osmoz.com). Le tout offre une impression d’universalité et d’intemporalité. Le parfum existe ou a existé dans toutes les civilisations, avec des usages multiples (hygiénique, cosmétique, rituel). Les goûts changent au fil des époques, les formules sont actualisées, mais le parfum reste un élément culturel incontournable, qui peut expliquer l’essor d’une ville ou certaines routes commerciales.

Parfums, une histoire intime, de Denyse Beaulieu


À partir d’une anecdote personnelle, la journaliste Denyse Beaulieu (qui tient aussi le blog graindemusc suggère à Bertrand Duchaufour la création d’un parfum nommé, chez L’Artisan parfumeur, Séville à l’aube. La reconstitution d’un souvenir (une aventure amoureuse survenue pendant une nuit de semaine sainte sévillane) en utilisant des éléments olfactifs en apparence disparates, mais pouvant faire partie d’une composition harmonieuse, est un fil conducteur original pour un récit qui explique la relation complexe et passionnée de l’auteur avec le monde du parfum. Une relation qui commence pendant son enfance québécoise, où sa voisine française lui fait entrevoir un monde raffiné qui n’existe que sur papier glacé… ou enfermé dans un flacon, et qui continue à Paris, auprès de créateurs de fragrances renommées. Le parfum, ce sont les âges de la vie, la reconnaissance de la féminité et le rapport au corps et à la séduction. Ce sont des histoires de romances et de modes, mais surtout, d’un travail et d’une économie souvent mal connus du public. La découverte, également, d’ingrédients, parfois inattendus, qui font partie du plus simple des parfums, car les compositions ont besoin de fixateurs qu’autrefois étaient des substances animales, comme le musc, l’ambre gris ou la civette, dotées d’odeurs de sécrétions sexuelles, aujourd’hui remplacés par des équivalents issus de l’industrie chimique, mais qui rappellent que le parfum ne masque pas l’odeur naturelle du corps : au contraire, elle la met en valeur en ajoutant des notes florales, vertes, épicées… En ajoutant des dimensions spatiales, comme l’ambiance d’une ville ou d’une forêt, et temporelles, comme le souvenir d’une première eau de toilette ou d’un croisement inespéré entre l’encens et la fleur d’oranger. Aussi, le lecteur trouvera dans ce livre un grand nombre d’informations concernant la fabrication actuelle des parfums. On peut citer la question des reformulations, qui peuvent les rendre méconnaissables aux amateurs, celle des allergies aux parfums et les règlementations qu’un « principe de précaution » appliqué sans discernement peuvent entraîner, mettant en danger l’existence de produits qui ne posaient pas de problèmes jusqu’à alors, celle, enfin, de l’ambigüité du parfum  en lui-même, qui depuis l’Antiquité est utilisé dans un contexte religieux, aussi bien que mondain, qui rappelle le luxe et le raffinement, mais aussi la nature, la propreté et la toxicité, les senteurs agréables et désagréables… Tout un monde.

Les 101 mots du parfum à l’usage de tous, d’Elisabeth de Feydeau, Archibooks, 2013 ; Parfums, une histoire intime, de Denyse Beaulieu. Presses de la cité 2013

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