L'Ami barbare
À propos de l’Ami barbare, de Jean-Michel Olivier
Les funérailles de Roman Dragomir sont l'endroit où se croisent tous ceux qui
ont joué un rôle dans la vie de ce Serbe indocile, amateur de livres, de
football et de liberté, de Belgrade à Lausanne, en passant par Trieste et
Paris. Ce dernier rendez-vous, célébré selon le rite orthodoxe, est regardé par
le défunt qui, depuis son particulier au-delà, salue chaque personnage, qu’il soit frère, ami ou ennemi
littéraire venant lui dire adieu, avec une bienveillance malicieuse. De son
point de vue, tout est révolu et présent en même temps. Et les proches, à leur
tour, évoquent la vie aventureuse de Roman, à la deuxième personne, en
commençant par son enfance à Belgrade dans les années 1930, un temps dont le
petit frère, Milan, a gardé des souvenirs doux-amers. Les trois frères
Dragomir, qui portaient des prénoms de villes italiennes, comme une
anticipation de l’exil, menaient une vie insouciante et rebelle, impatients de
devenir adultes, et la ville était leur terrain de jeux. La Seconde Guerre
mondiale détruit brutalement tous leurs repères, lorsque le frère aîné, Luca,
est assassiné par les Allemands. Pendant la période d’après-guerre, le régime
communiste en Yougoslavie devient de plus en plus oppressant, le père de Roman
est emprisonné, et l’adolescent trouve une tanière idéale et un point de fuite
auprès de la bibliothécaire Natalia Kostelic, dans les infinies possibilités des mondes d’encre
et de papier. Ce n’est qu’après l’arrestation de cette dernière et le saccage
de son magasin que Roman décide de quitter son pays pour un ailleurs où il sera
toujours un barbare venu de l’Est. Le barbare est celui qui parle une
autre langue, l’adjectif est néanmoins ambigu, parce qu'il fait autant allusion à la sauvagerie qu’à une sorte d'irrésistible
impulsion, à une énergie entraînante. À Trieste, première escale de son errance,
il fait la connaissance de Johanna, jeune libraire juive dont il tombe
amoureux. Mais les femmes, dans l’univers de Roman, fait de particules
littéraires qui se télescopent rarement, restent lointaines et inconnaissables,
gardent des secrets pendant des décennies, affectionnent le silence et ne
parviennent pas à tutoyer leur amant, établissant ainsi une frontière subtile. Rien
n’est figé ou déterminé d’avance, les vies se réinventent et l’Italie sera une
étape avant la Suisse, où Roman deviendra éditeur et ami d’écrivains, toujours entouré de
livres, passionné par le football, une forme de communication dépassant les
langues et les cultures. Il reste néanmoins pour les autres un étranger en
situation d’éternel décalage, confronté à l’étroitesse d’esprit des uns, à la
pensée unique des autres, ceux qui sont persuadés d’être dans le camp du bien.
La perspective de Roman est celle d’un témoin de plusieurs époques, d’un
observateur de l’absurdité des agitations révolutionnaires, car, après la
guerre et le communisme, on revisite avec lui Mai 68, la chute du Mur de Berlin ou la guerre
de Yougoslavie. Inspiré par la vie de Vladimir
Dimitrjevic (1934-2011), fondateur des éditions L’Âge d’Homme, L’Ami barbare est un récit où le
tragique côtoie une certaine légèreté, où l’on évoque aussi bien les villes en
ruines que les jardins dédiés aux poètes, ou les lieux qui ont façonné la vie
culturelle lausannoise, comme le bar à café justement nommé Le Barbare.
L’Ami barbare, de Jean-Michel Olivier. Editions de Fallois/ L’Âge
d’Homme, 2014
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