Ne plus jamais dormir
A propos de Ne plus jamais dormir, de Willem Frederik
Hermans
Les romans de Willem Frederik
Hermans font partie pour moi de ces livres amis,
dans le sens où l’on peut entrer en totale confiance dans leur monde sans
repères. Ou dans leurs mondes, car Dans Ne
plus jamais dormir, le lecteur suit deux voyages et deux égarements
parallèles. Le premier est un périple géographique. Dans les années 1960, l’étudiant
en géologie Alfred Issendorf, se rend en
Norvège avec l’intention d’explorer certains cratères ronds du Finnmark, dont
il soupçonne l’origine météoritique. Son professeur néerlandais le recommande à
un certain Nummedal, à Oslo, qui doit lui fournir des photographies aériennes
qui faciliteront sa tâche. Tout semble bien parti pour Issendorf, sauf que le
professeur Nummedal se révèle une momie universitaire rivée à son poste qui a
largement dépassé l’âge de la retraite ne semble pas très disposé à aider un
jeune chercheur étranger. Les vues aériennes se trouvent dans les archives
d’une autre ville, où le personnel l’accueille avec le même mélange d’incompréhension
et d’indifférence qu’il a vécu à Oslo, et Issendorf doit se résoudre à partir
dans le Finnmark, à l’extrême nord du pays, sans les avoir obtenues. C’est dans
les paysages solitaires, sous le soleil de minuit, qu’Issendorf fait la
connaissance de trois autres étudiants qui effectuent des travaux similaires
aux siens. Mais les difficultés continuent, alimentées par les barrières des
langues (le protagoniste ne parle pas le norvégien, les conversations se font
en anglais et en allemand), et le sommeil devient compliqué lorsque la nuit ne
vient jamais et des milliers de moustiques foncent sur les malheureux
randonneurs. La lumière traverse les paupières closes. La nature est d’habitude
hostile, mais, pour le jeune géologue, elle fait partie d’un défi plus vaste
qui a commencé pendant son enfance, lorsqu’il a voulu suivre les traces de son
père, mort prématurément, et donner à sa famille une raison de fierté en
réalisant une découverte exceptionnelle. Et ce second voyage, intérieur, n’est
pas moins passionnant et risqué que le premier, parce que, dans les deux cas,
le dépaysement peut être trompeur et les boussoles indiquer la mauvaise
direction.
C’est ainsi qu’Issendorf va suivre divers
chemins, basés sur ses principes scientifiques, mais baignés par l’ambiance d’étrangeté
qui l’entoure : fatigue et nourriture peu attirante, chaleur et averses,
et fardeaux à assumer. Il est souvent question de poids, dans ce roman. Au sens
propre, d’abord : le poids des pierres, des sacs à dos, des provisions, le
poids qu’un homme peut prendre sur lui et qui symbolise autant sa résistance
physique que sa persévérance à l’idée d’atteindre un objectif. Celui qui anime
le géologue est l’envie de ne pas paraître faible ou empoté face à ses
compagnons, mais aussi le besoin d’égaler et de surpasser l’œuvre paternelle, d’achever
quelque chose qui aurait du sens, et ses souvenirs, par association d’idées, le
mènent au mythe d’Enée qui porte son père sur ses épaules de Troie à Rome…
Le voyage vers ses propres motivations, n’est
pas non plus reposant pour Issendorf. On y trouve le thème de la rivalité
universitaire, la hantise du travail volé, de la concurrence déloyale entre
scientifiques, un sujet qui peut alimenter des fausses pistes, parce que les
rumeurs de mésentente entre professeurs et de vengeances détournées ne sont
jamais confirmées ou démenties totalement. Quelle importance peut prendre un
sobriquet ridicule quand il est employé par quelqu’un qui ignore sa
signification ? On se perd beaucoup dans ces pages, car on se trompe souvent
quand on se livre à des conjectures dans la solitude, ou en compagnie de ceux
qu’on ne parvient pas à comprendre.
Ne plus jamais dormir, de Willem Frederik Hermans, traduit du néerlandais par
Daniel Cunin, Gallimard, 2009
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