Avec les chiens
Avec
les chiens
à
propos de Avec les chiens, d'Antoine Jaquier
Si,
d'après certains, à dormir avec les chiens, on attrape des
puces, que peut-il arriver à ceux qui se rapprochent d'un tueur
d'enfants, dit l'Ogre de Rambouillet, tout juste sorti de
prison ? Que risque-t-on à essayer la compréhension, le châtiment ou le pardon ? L'intrigue de ce roman ressemble
beaucoup au récit d'une insidieuse contagion, facilement répandue à
la faveur de la fascination du mal. Raconté à deux voix, le récit
met en scène deux personnages, deux victimes du tueur en série
Streum : Michel, le père d'un des enfants enlevés, et Julien,
le dernier enfant longtemps séquestré dans la cave de Streum, et le
seul rescapé. Chacun de leur côté, méfiants mais étonnamment
naïfs, ils épient la nouvelle vie de l'ogre, s'arrangent pour
faire sa connaissance sous des faux noms. D'abord, il y a un projet
de vengeance, plutôt farfelu, mais bien sérieux, décidé treize
ans plus tôt. La proximité de Streum va le rendre rapidement caduc.
Au lieu de la détestation attendue, les deux hommes commencent à
éprouver une attirance au début ambiguë, de plus en plus affichée
ensuite, pour une figure qui représente à leurs yeux
l'assouvissement sans limites des pulsions, la haine décomplexée
des femmes, la rupture avec une civilisation adepte de la mièvrerie
rigide, qui les gênent aux entournures, la liberté comme négation
de l'autre. Ils adoptent ainsi les codes, le langage du meurtrier, et
même ses étranges loisirs, sans se douter que le processus de
victimisation continue, cette fois sous forme de manipulation des
esprits. Puisqu'on vous avait dit que c'était un pervers...
Entre
sadomasochisme et hybristophilie, la séduction exercée par le tueur
en série semble bien être celle d'un improbable dernier fauve en
liberté, d'un mauvais sauvage des banlieues et du no man's
land pavillonnaire. Il s'épanouit aussi bien dans une ferme isolée
que dans la jungle des sites de rencontres. Son adaptabilité lui
donne une position dominante, et il n'hésite pas à exploiter les
points faibles de ceux qui vont s'empresser plus tard de lui trouver
des excuses (l'inévitable enfance malheureuse). Dans la description
de ses victimes, la passivité et l'apathie n'est pas sans rappeler
certains personnages de Michel Houellebecq (Les Particules
élémentaires). Ici aussi, la victimisation devient un statut
et, avec le temps, une stratégie. Avec les chiens décrit des
folies individuelles, reflets de folies collectives : celle des
médias, qui cultivent, chez le public, l'envie de se faire peur,
celle des esclaves consentantes cherchant désespérément un maître,
celle, enfin, de la réification des enfants, réduits à l'état
d'objets ou à celui de projets. Dépourvu de tout discours
moralisant, le deuxième roman d'Antoine Jaquier explore le domaine
du polar, en cultivant le suspense, mais aussi celui du roman
réaliste, avec ses personnages construits à partir d'agrégats, où
se mêlent des clichés de notre époque et une solitude tenace.
Avec
les chiens, d'Antoine Jaquier, éd l'Âge d'Homme, 2015
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