Vanity Bagh
Vanity
Bagh
à
propos de Vanity Bagh, de Anees Salim
L'univers
de la prison est un fragment d'irréalité. Pour le jeune Imran
Jabbari, condamné à une lourde peine, il est surtout un révélateur
des expériences passées, une lucarne sur d'autres mondes
fragmentés, ceux de son adolescence et de la vie quotidienne dans le
quartier de Vanity Bagh, enclave à majorité musulmane, sorte de Pakistan miniature au cœur
d'une grande ville indienne. Ici, il est question de l'imam, le père
du narrateur, et de sa famille, de fêtes et de disputes, racontées avec pas mal d'humour, de communautés se regardant en
chien de faïence, d'un ancien délinquant vivant reclus, de football
et de cricket, et surtout d'enfants qui s'ennuient...
Au
milieu des années 2000, Imran et ses amis, groupe informel de paumés
surnommé la bande des 5 et 1/2 imaginent
une vie calquée sur les films d'action. Le cinéma est l'une de
leurs réalités parallèles, et son empreinte reste visible dans les
rêves des protagonistes, dans les citations des dialogues de ces
héros cinématographiques, mêlées aux dires des gens du quartier
et aux phrases écrites par des personnages autrement plus célèbres.
Les mots de sources diverses semblent former, dans leur ensemble, un
curieux monologue, un bruit de fond représentant l'activité des
rues de Vanity Bagh. Ils se poursuivent, et ils poursuivent le
malchanceux Imran lorsqu'il se retrouve en prison après avoir
transporté un scooter chargé d'explosifs sans être au courant de
son contenu, car pour les membres de la bande, ce n'était qu'un
« travail » vaguement illégal, et ils ignoraient la
préparation d'un attentat. Le tribunal ne l'entend pas ainsi et
Imran, qui aspirait, assez candidement, à tromper l'ennui, doit se
préparer à affronter seize années fastidieuses. Pourtant, Imran va
recevoir une étrange surprise dans l'atelier de reliure où il doit
désormais travailler. Dans les pages vierges des livres, celui qui
ne s'était jamais intéressé à la lecture commence à « lire »
les souvenirs de ses parents et de sa vie d'avant la prison, à
recomposer un passé éclaté en espoirs déçus et occasions ratées,
et cette régression semble donner au narrateur un certain équilibre,
d'autant plus que le monde carcéral décrit dans le roman a
également quelque chose de régressif ; il est souvent comparé
à une école, un lieu ni agréable ni réellement épouvantable. La
ressemblance avec l'école apparaît aussi dans certains éléments
du décor (l'horloge murale, les arbres de la cour), mais avant tout
dans sa qualité d'endroit à l'écart du temps, de la foule et de
ses conflits, échappant également au dynamisme du pays, ce qui
favorise la nostalgie et l'introspection. Cela permet quelquefois de
relativiser les événements tragiques, qu'on ne peut plus changer,
mais qu'on peut comprendre.
Vanity
Bagh, de Anees Salim, traduit de
l'anglais (Inde) par Éric Auzoux, éd Actes Sud, 2015
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