Le seul art que je maîtrise entièrement est celui de la procrastination. Pour combattre cette coutume et démolir un édifice si solidement bâti pendant des années, j'ai commencé à faire des listes de choses à faire. Elles se sont vite révélées trop ambitieuses ; j'ai revu les ambitions à la baisse, j'ai diminué le nombre de tâches. Rien n'y faisait... Justement, le non-accompli guettait à chaque page du carnet comme un reproche silencieux. J'ai alors commencé des listes inversées, où seules seraient mentionnées les tâches déjà accomplies, mais le procédé est devenu pareillement désolant. La liste du non-fait poursuivait sont existence dans quelque réalité parallèle et anxiogène. Finalement, j'ai arrêté toutes les listes, et je n'ai conservé qu'une petite indication quotidienne, sans échéance et sans date de péremption : être meilleure.
Arts et Littérature. Actualité littéraire, expositions et musées, essais et réflexions sur l'art et la culture
mercredi 25 novembre 2015
vendredi 20 novembre 2015
LE KIMONO DE NEIGE
à propos de Le Kimono
de neige, de Mark Henshaw
Les
confidences entre deux hommes âgés, deux voisins vivant seuls sans
le Paris de 1989 tracent des lignes ténues entre l'imaginaire et le
vécu. L'ancien inspecteur de police Jovert et l'ancien professeur de
droit Omura semblent avoir peu en commun, sauf peut-être leur
solitude et la disposition identique de leurs appartements, ainsi
qu'une expérience frustrée de la paternité. À l'occasion d'un
accident qui rend ses déplacements difficiles, Jovert fait la
connaissance du professeur Omura, Japonais amoureux de la France.
Omura apprécie la compagnie de son voisin et lui parle de sa vie au
Japon, une vie très discrète, en marge de tout événement
dramatique et de toute passion. Seule l'évocation de sa fille
Fumiko, adoptée dans des circonstances inhabituelles paraît
renfermer un mystère. Pourtant, un personnage flamboyant et flambeur
se dégage de son récit ; son ami d'enfance Katsuo Ikeda, qui
aurait eu une vie riche en aventures, péripéties et disparitions.
Katsuo agit là où l'énigmatique Omura se contente d'observer. Le
premier se montre séducteur, ambitieux, sciemment immoral et aimant
les plaisanteries cruelles, mais il devient également un écrivain à
succès, un esthète à la recherche de femmes aimées qui se
dérobent. Les portraits féminins se succèdent, sous le regard d'un
Omura qui préfère afficher une certaine neutralité, tout en
affirmant des principes moraux solides et en avertissant Katsuo de la
tragédie qui ne manquera pas de se produire. De l'autre côté,
l'inspecteur Jovert délie aussi le fil de ses souvenirs, en Algérie,
où il a passé une bonne partie de sa vie, où le monde d'autrefois
se manifeste encore sous forme de lettres. Un parallélisme troublant
s'établit entre les deux hommes, car tous les deux s'efforcent de
tenir le passé à l'écart et en même temps de le faire resurgir
dégageant quelque chose qui ressemble à une culpabilité secrète,
dans une ambiance étrange, marqué par le motif répété de la
neige et de la glace. Le récit se construit, au-delà de la parole,
par des images et des sons dont on ignore la signification : les
pas dans les rues glacées, le bruit d'une machine à écrire entendu
dans l'escalier, une scène dramatique entraperçue qui retourne très
tôt au silence, et un kimono d'un blanc neigeux... Un roman original
dans sa construction, fait de différentes histoires emboîtées les
unes dans les autres et d'époques mélangées, oscillant entre le
récit familial et le thriller psychologique.
Le
Kimono de neige, de Mark Henshaw, traduit de l'anglais
(Australie) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois Éditeur, 2015
samedi 14 novembre 2015
dimanche 1 novembre 2015
Il faut tenter de vivre
à propos de Il faut
tenter de vivre, de Eric Faye
Ne reste-t-il vraiment rien, pourtant, d'une
tentative d'évasion Un esprit doit conserver quelque part une trace
de cette grande bourrasque océanique -la liberté-, un peu comme,
sur le sable, après le reflux de la vague, subsiste une frise
d'écume. (p. 146) Les personnages de ce
roman ressemblent aux ombres que l'on peut croiser, la nuit,
sur un quai de gare ; des silhouettes un peu floues, difficiles
à saisir dans leur mouvement, et pourtant captivantes. C'est ainsi
que se présente au narrateur la figure d'une jeune femme rencontrée
dans une soirée parisienne au milieu des années 90. Sandrine
l'intéresse d'emblée, non pas comme une amoureuse probable, mais
comme un motif romanesque, car il pressent la valeur littéraire de
l'histoire accidentée de la jeune femme, où abondent les failles et
les zones obscures. Sandrine lui échappe et revient pour s'en aller
de nouveau, à l'image d'une vocation d'écrivain qui connaît une
éclosion tardive. Il apprendra ainsi l'enfance en clair-obscur et
les rêves d'une petite fille brimée par une mère jalouse, ses
essais d'acclimatation à un milieu désespérément terne, ses
inévitables fugues qui la mèneront plus tard à l'impasse dans
les marges de la société. Entre arnaques sentimentales et fausses
identités, Sandrine se perd à chercher le bonheur dans de l'argent
trop vite dépensé et des relations bancales. Le narrateur observe,
avec un regard à la fois bienveillant et désolé, ses nombreuses
métamorphoses, ses tentatives de tout recommencer après l'échec,
en changeant de pays, d'amis et d'amants. Pour éviter d'être
envoyée en prison, Sandrine part en Belgique, mais c'est un
isolement d'une autre sorte qui débute là-bas, dû à la peur
d'être démasquée, et au besoin d'utiliser un nom d'emprunt. La
liberté apparaît comme une affaire de temps, comme une longue
attente de l'oubli ; à l'opposé de cette vision chronologique
se dessine une recomposition de différentes époques et expériences,
afin de retrouver une image de soi reconnaissable, sinon choisie, du
moins acceptée. Toute révolte n'est pas libératrice, cependant
l'énergie dépensée pour s'émanciper ne se perd jamais, elle se
transforme en leçon de vie.
On retrouve ici comme un écho des mots de Marguerite
Yourcenar, Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait
le tour de sa prison ? La
recherche de parcelles de liberté et l'exploration d'identités
fragmentées restent de fascinants sujets de réflexion.
Il faut tenter de
vivre, de Eric Faye, Stock, 2015
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