LE KIMONO DE NEIGE
à propos de Le Kimono
de neige, de Mark Henshaw
Les
confidences entre deux hommes âgés, deux voisins vivant seuls sans
le Paris de 1989 tracent des lignes ténues entre l'imaginaire et le
vécu. L'ancien inspecteur de police Jovert et l'ancien professeur de
droit Omura semblent avoir peu en commun, sauf peut-être leur
solitude et la disposition identique de leurs appartements, ainsi
qu'une expérience frustrée de la paternité. À l'occasion d'un
accident qui rend ses déplacements difficiles, Jovert fait la
connaissance du professeur Omura, Japonais amoureux de la France.
Omura apprécie la compagnie de son voisin et lui parle de sa vie au
Japon, une vie très discrète, en marge de tout événement
dramatique et de toute passion. Seule l'évocation de sa fille
Fumiko, adoptée dans des circonstances inhabituelles paraît
renfermer un mystère. Pourtant, un personnage flamboyant et flambeur
se dégage de son récit ; son ami d'enfance Katsuo Ikeda, qui
aurait eu une vie riche en aventures, péripéties et disparitions.
Katsuo agit là où l'énigmatique Omura se contente d'observer. Le
premier se montre séducteur, ambitieux, sciemment immoral et aimant
les plaisanteries cruelles, mais il devient également un écrivain à
succès, un esthète à la recherche de femmes aimées qui se
dérobent. Les portraits féminins se succèdent, sous le regard d'un
Omura qui préfère afficher une certaine neutralité, tout en
affirmant des principes moraux solides et en avertissant Katsuo de la
tragédie qui ne manquera pas de se produire. De l'autre côté,
l'inspecteur Jovert délie aussi le fil de ses souvenirs, en Algérie,
où il a passé une bonne partie de sa vie, où le monde d'autrefois
se manifeste encore sous forme de lettres. Un parallélisme troublant
s'établit entre les deux hommes, car tous les deux s'efforcent de
tenir le passé à l'écart et en même temps de le faire resurgir
dégageant quelque chose qui ressemble à une culpabilité secrète,
dans une ambiance étrange, marqué par le motif répété de la
neige et de la glace. Le récit se construit, au-delà de la parole,
par des images et des sons dont on ignore la signification : les
pas dans les rues glacées, le bruit d'une machine à écrire entendu
dans l'escalier, une scène dramatique entraperçue qui retourne très
tôt au silence, et un kimono d'un blanc neigeux... Un roman original
dans sa construction, fait de différentes histoires emboîtées les
unes dans les autres et d'époques mélangées, oscillant entre le
récit familial et le thriller psychologique.
Le
Kimono de neige, de Mark Henshaw, traduit de l'anglais
(Australie) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois Éditeur, 2015
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