Cézanne. Le Chant de la Terre.
Du 16 juin au 19 novembre 2017. Fondation Pierre Gianadda, Martigny
La transformation du
paysage, sous l'impulsion des Impressionnistes, ouvre des voies qui
mènent, chez certains artistes, vers une interprétation inédite de
l'espace, vers l'économie des formes et l'abstraction. Dans cette
sélection d’œuvres de Paul Cézanne (quatre-vingt toiles et un
certain nombre d'aquarelles et de dessins, couvrant toutes les étapes
de sa vie, et dont un certain nombre sont issues de collections
particulières), on trouve bien ce goût de l'expérimentation dans
la préférence pour la peinture en plein air, ainsi que
l'enracinement du peintre dans un monde qui lui est familier, et qui
va de la montagne Sainte-Victoire aux environs d'Auvers-sur-Oise, en
passant par les bords de la Marne. On ne trouvera pas ici d'exotisme
ou d'étrangeté. Les mêmes endroits sont vus sous différents
angles et lumières. La vie de Cézanne (1839-1906), passée entre
Paris et Aix-en-Provence, a de nombreux points communs avec celles
d'autres artistes impressionnistes, si on excepte une meilleure
situation financière, dans le cas de Cézanne, qui lui avait permis
de se consacrer modestement à son art. Pour le reste, chez le
contemporain de Monet, de Sisley, de Manet ou de Morisot, il y a
aussi des débuts difficiles et de nombreux refus dans les salons de
peinture, doublés d'une grande persévérance, avant d'obtenir une
reconnaissance tardive ; il y a des rencontres et des influences
croisées avec d'autres artistes, comme Camille Pissarro, qui
croyaient également au bouleversement du langage de l'art en cours ;
il y a la visite du « Salon des refusés », l'admiration
de l’œuvre de Delacroix, de Courbet ou de Manet... Mais il n'y a
rien de révolutionnaire chez Cézanne ; chez lui la modernité
réside dans la restitution du ressenti, dans la volonté de traduire
simplement l'émotion au moyen de la peinture. Son œuvre se nourrit
de thèmes éternels et de ruptures stylistiques, de renouvellement
des classiques, comme la nature morte, les arbres et les scènes de
baignade, et surtout d'un esprit de synthèse dans l'écriture du
paysage.
Lumière extérieure,
superposition de couleurs et formes géométriques
Dans les différentes
versions de La Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves
(1902-1906), dans Le Pont de l'île Machefer (1895-1898) ou
Le Verger (Hattenville) (1885), les cieux sont clairs, formés
par des nuances de bleu, de blanc et de gris, tandis que la terre est
le royaume des verts, mais on y trouve aussi du bleu -qui peut
représenter l'éloignement de certains éléments- et des tonalités
orangées, puis plus mates et sombres. Le fond noir de ses débuts a
disparu à la faveur d'une myriade de taches vives et claires. Cette
vision immédiate est celle de la peinture en plein air, où la
couleur bleutée de la Sainte-Victoire est celle de la distance qui
la sépare du regard du peintre. Cette impression d'éloignement, ou
de foisonnement, dans le cas des arbres et de la végétation,
provient de la juxtaposition des couleurs dans des touches carrées
ou rectangulaires, dont la disposition verticale ou diagonale imprime
un rythme et crée une atmosphère où tout peut bouger, scintiller
et disparaître. Chaque parcelle d'ombre a sa lumière, chaque
surface sa texture. Les couleurs vibrantes ou mates jouent les
volumes et la profondeur créant des divisions, des mélanges et des
recompositions. Le dessin, chez Cézanne est simple, presque austère.
Comme on peut l'observer dans ses esquisses et aquarelles, la
simplicité du trait permet parallèlement l'épanouissement de la
couleur. Cette façon de poser les couleurs sur la toile renvoie à
une célèbre phrase de Cézanne où il est question de « traiter
la nature selon les grands volumes géométriques qui la
sous-tendent, cônes, sphères ou cylindres » (Lettre à Émile
Bernard, 1904). Des idées et des méthodes annonciatrices du
cubisme, dans la réduction à l'expression de l'essentiel, de cet
essentiel dont le peintre se souvient une fois de retour dans
l'atelier, où Cézanne avait l'habitude de reprendre ses tableaux,
d'apporter de nouveaux effets tirés du réel grâce à son
excellente mémoire : les lignes des branches, le mélange des
verts des feuilles ou des reflets sur un mur.
Revisiter des classiques
Si la forme et la
technique évoluent vers quelque chose d'inédit, elle s'appliquent
pourtant à des sujets très anciens. À côté du paysage, la nature
morte et le portrait permettent semblablement de peindre la
subjectivité et l'émotion. Parmi les portraits qu'on peut voir dans
cette exposition, celui de Mme Cézanne à l'éventail, commencé
vers 1879 et repeint probablement des années plus tard, est
peut-être le plus mystérieux. L'esquisse d'un intérieur sombre, le
fauteuil rouge et la robe aux couleurs éteintes servent d'écrin à
la pâleur du teint et aux yeux noirs et perçants, surtout à l’œil
droit représenté comme une cavité. Une apparence à la fois
familière et fantomatique, pour celle qui avait été pendant des
années une présence cachée dans la maison du peintre.
Les natures mortes
sont, avec les paysages, les œuvres emblématiques de Cézanne. Leur
caractéristique principale est la présence de fruits ronds,
brillants, qui se détachent de la blancheur des tissus en volumes
rouges, jaunes ou orangés, voire d'un vert intense. Ce relief
composé par la couleur attire le regard du spectateur sur une scène
aux motifs simples : nappes, cruches, parfois un couteau posé
de biais suggérant la profondeur... C'est également un exemple
d'économie d'artifices et de synthèse de ce qui est vu et de ce qui
pourrait être vu.
Inma Abbet
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La montagne Sainte-Victoire vue des Lauves (1902-1906) |
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Montagnes en Provence, le barrage de François Zola (1879) |
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Rochers à Bibémus, aquarelle sur carton (1895-1900) |
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La Plaine de Saint-Ouen-l'Aumône, vers 1880 |
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Les Bords de la Marne (détail) vers 1894 |
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Mme Cézanne à l'éventail (vers 1888) |
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Le Vase paillé, sucrier et pommes (1890-1893) |
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Le Verger (vers 1885) |
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Le Pont de l'île Mâchefer (détail) |
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