Paul Delvaux, maître du rêve

Paul Delvaux, maître du rêve. Évian, Palais Lumière. Du samedi 01 juillet au dimanche 01 octobre 2017

Le maître du rêve, tel est le titre que l'exposition qui se tient au Palais Lumière d'Évian jusqu'au 1er octobre donne au peintre belge Paul Devaux (1897-1994). Et le rêve, thème surréaliste par excellence, est bien présent dans cet ensemble d’œuvres majoritairement issues d'une collection privée * avec quelques pièces qui font partie des collections de différents musées de Belgique. Le nom de Delvaux évoque, le plus souvent, des paysages silencieux où se dressent des colonnes et des palais délabrés, des gares où évoluent des femmes nues aux logues chevelures, sous une clarté lunaire, mais aussi des intérieurs froids et des squelettes, et des scènes apparemment incongrues, où la beauté côtoie l'absurde ou le morbide. Cet univers si singulier a été lentement et longuement façonné, chez Delvaux, par le croisement et le mélange de souvenirs d'enfance et de jeunesse, par les hantises et les désirs laissant des empreintes durables. Mais on trouve aussi l'influence d'artistes admirés, comme Modigliani, Ensor, et, surtout, Giorgio de Chirico. Le résultat est un monde imaginaire et pictural aussi insolite que facilement reconnaissable, peuplé de personnages hiératiques et propice aux situations étranges, où la distanciation et l'isolement semblent faire partie d'une mise en scène dont seul l'artiste connaît le secret.

Lorsqu'il commence à exposer, en 1923, Paul Delvaux cultive encore une vision du paysage qui est celle de l'impressionnisme. Peu à peu apparaît dans son œuvre l'élément féminin, présenté de manière complexe, parce qu'on y trouve aussi bien des formes de la statuaire antique que des évocations de scènes de maison close. Des femmes dont le visage et l'expression -calme et vaguement souriante- se ressemblent, et qui sont davantage intemporelles qu'irréelles. Leurs corps et attitudes font penser à des sculptures, mais aussi à des nus académiques, des références qui précèdent l'art moderne et qui s'y opposent. Leurs vêtements, ou, de manière plus fragmentaire, leurs chapeaux à fleurs ou autres accessoires, appartiennent davantage à la mode citadine, bourgeoise, du début du XXème siècle, donc à l'enfance de l'artiste, qu'à celle de l'époque où ces œuvres ont été peintes. Il n'y a rien, dans ces personnages, qui rappelle le style ou l'ambiance des années 1930, 40 ou 70, rien pour rappeler le cinéma, la publicité ou toute aute iconographie contemporaine. La fascination du corps féminin, chez Delvaux va de pair avec une certaine érotisation, qui est en même temps une mise à distance de la féminité, toujours considérée comme inaccessible. Les femmes semblent attendre ou se promener sans but ; leurs silhouettes n'ont pas d'ancrage ou d'ombre. Dans Pygmalion, l'une d'entre elles enlace une statue, un torse masculin qui n'a pas de bras. Tout mouvement est contrecarré par une immobilité minérale. Des scènes érotiques lesbiennes apparaissent pourtant fréquemment dans ses œuvres sur papier, où, bien que plus stylisées, les figures et les mouvements paraissent plus réalistes. Un motif clé de cette féminité inabordable est la Vénus endormie qui apparaît de façon récurrente dans ses tableaux. À l'origine, il s'agissait d'un mannequin exposé dans une fête foraine, une sorte d'automate muni d'un mécanisme qui mimait la respiration. C'est encore une image de la femme impossible, mais aussi inquiétante, qui n'est pas sans évoquer le motif du squelette, qui est également présent dans l’œuvre de Delvaux. Au départ, il y avait un vrai squelette, qui terrifiait l'artiste lorsqu'il était enfant, un modèle anatomique placé dans une des salles de classe de son école. Plus tard, il avait appris à voir dans le squelette une passionnante dynamique de la transformation du vivant. À côté des belles femmes, le squelette rejoint par ailleurs d'autres sujets de la peinture classique : la vanité et les âges de la vie, curieux rappel de la temporalité dans un monde où tout paraît anachronique.

Cet anachronisme est renforcé par la présence de ces figures fantomatiques dans des décors où s'opère un pareil mélange spatio-temporel. Les perspectives représentées dans La Terrasse (1979) ou La Route de Rome (1979) sont comparables à celles de la Cité idéale d'Urbino.** Les bâtiments tiennent à la fois de l'Antiquité et de la Renaissance. Les espaces sont vastes et déserts. C'est l'un des exemples qui montrent l'influence de l'univers de de Chirico, que Delvaux avait découvert en 1934, à Bruxelles, à l'occasion de l'exposition Minotaure, -du nom de la revue surréaliste publiée depuis 1933- La proximité esthétique et thématique de Delvaux avec le mouvement surréaliste, sans qu'il n'ait jamais partagé les engagements politiques et le goût de la provocation des artistes de ce courant, est perceptible dans le caractère onirique de sa peinture. Ces lieux hors du temps, mais où se déroule une certaine activité, nocturne ou secrète, ces gares fréquentés par des familles et des enfants, habillés à la mode des années 1900, sont autant de représentations d'un monde intérieur -celui, en effet, du rêve, d'un laboratoire de l'inconscient, qui synthétise les aspirations et les fantasmes, les craintes et les rencontres inattendues.


* Collection particulière de Pierre et Nicole Ghêne, en dépôt au musée d'Ixelles à Bruxelles.   
** La cité idéale d'Urbino :
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Cit%C3%A9_id%C3%A9ale_(Urbino)

Catalogue : Paul Delvaux, maître du rêve - Sous la direction de Claire Leblanc, directrice et conservatrice du musée d’Ixelles et William Saadé, conservateur émérite du patrimoine, conseiller scientifique pour la Ville d’Évian - Avec les textes de Denis Laoureux, Laura Neve et Pierre Ghêne - Somogy, éditions d'art - 2017

Site du Palais Lumière

Quelques images des œuvres exposées à Évian



La Route de Rome, 1979

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